La nouvelle a fait grand bruit dans le monde de l’interprétation : l’entreprise chinoise leader du marché de la traduction automatique, qui prétendait utiliser l’Intelligence Artificielle pour traduire les orateurs, utilisait en fait des interprètes tout ce qu’il a de plus humains… Avant d’afficher les informations traduites comme si elles l’avaient été par une machine.
Au cours du Forum International sur l’innovation et le développement des industries émergentes 2018, organisé du 19 au 21 septembre à Shanghai, une conférence en Anglais tenue par un professeur Japonais a été le point de départ d’une controverse.
Une technique de maquillage élaborée
L’affaire a été rendue publique par l’un des interprètes employés par l’entreprise chinoise, écœuré de voir son travail ainsi dévalorisé. Voici l’ingénieux système que ce lanceur d’alerte a dénoncé :
- L’outil affichait au public une première transcription en anglais du discours. Cette version textuelle générée automatiquement comprenait un grand nombre d’erreurs, due en partie à l’accent Japonais du professeur.
- L’IA était sensée traduire cette transcription Anglaise en Chinois et l’afficher à son tour… Or cette interprétation finale en Chinois était de bien meilleure qualité que la transcription anglaise originale, et pour cause : elle était en fait réalisée par de vrais interprètes humains à partir du discours original du professeur.
Et le lanceur d’alerte de mettre en avant des preuves indiscutables qui montrent le caractère grossier de la supercherie : le professeur faisant référence au Forum de Davos (Davos Forum), l’outil de transcription l’aurait travesti en “Devil’s Forum” en anglais, le Forum du Diable… Et la traduction finale en Chinois aurait été rectifiée puisque c’est bien Davos qui apparaît dans la traduction Chinoise ! Preuve que cette traduction ne venait pas de la transcription anglaise mais d’un interprète humain.
L’outil mis en avant par l’entreprise de traduction automatique n’a donc au final généré aucune traduction : sa seule contribution a été la transcription Anglaise pour le moins douteuse.
L’efficacité de l’IA en question
Nuances, émotions, accents, choix de niveaux de langage : autant de blocages pour l’instant infranchissables par les outils de traduction automatique, sans parler des tournures de déférence propres aux langues orientales. Nous l’avions déjà évoqué dans notre billet Homme vs Intelligence Artificielle, la différence entre l’intelligence artificielle à la réflexion froide et carrée et l’intelligence humaine foisonnante et indisciplinée font de la traduction un domaine dans lequel l’IA est loin d’exceller…
C’est encore plus vrai en Interprétation, dans laquelle le ton, l’humeur et le “non-verbal” font partie du message à convier. Mais au-delà de la qualité de la traduction, d’autres aspects font une différence fondamentale entre une approche technologique et une approche humaine de l’interprétation.
Fascination technologique contre éthique professionnelle
Au fond, qu’est-ce qui a permis à cette entreprise de perpétuer son subterfuge ? La fascination qu’on éprouve pour la technologie, qui nous fait préférer un résultat imparfait venu d’une machine plutôt qu’un résultat bien plus abouti et fidèle traduit par un interprète. L’auditoire a envie de croire qu’une IA est à l’œuvre. La question à se poser est simple : pourquoi est-ce “plus vendeur” qu’un interprète humain ?
Le cas d’école de cette question de la fascination pour la technologie est sans aucun doute la VR (Virtual Reality ou Réalité Virtuelle) : beaucoup d’annonces spectaculaires, de financements et de buzz, et pour l’instant peu de fond et d’applications pratiques…
La conférence du professeur Japonais a en définitive servi de vitrine technologique pour l’entreprise de traduction, au détriment du fond de son message. C’est là un non-sens complet pour nous en tant qu’interprète : nous pensons qu’au contraire, l’interprète doit s’efforcer de transmettre le message le plus fidèlement possible, quitte à s’effacer, et doit favoriser le dialogue entre le public et l’intervenant et non devenir le sujet principal et distraire l’auditoire.
Ces point éthiques font toute la différence entre une IA et un interprète membre de l’AIIC.